Les marées vertes à Ulves
en Bretagne
contribuent à noircir l'agriculture française
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Christian Buson, Président de l'Institut de
l'Environnement, nous présente un résumé des connaissances sur les
marées vertes à Ulves en Bretagne.
Un postulat erroné : le lien entre les ulves et l’azote
Il s’avère que l’hypothèse centrale du lien entre la prolifération
des ulves et la présence d’azote dans le milieu marin, n’est pas
vérifiée :
- les proliférations d’ulves sont observées
quelles que soient les quantités d’azote rejetées par les cours d’eau
-
les rejets les plus forts ne provoquent pas le phénomène, comme
dans le cas de l’estuaire de la Loire, de la rade de Brest ou de
la baie de Vilaine
-
le
phénomène est observé dans des baies recevant de faibles
quantités d’azote (baie de Lannion)
- ce sont essentiellement
les conditions géomorphologiques et hydrodynamiques
particulières, en favorisant l’effet de lagunage et en limitant la
dispersion vers le large, qui expliquent que certaines baies
seulement sont propices
- de plus, même dans ces baies propices, les biomasses
constatées ne sont pas corrélées aux quantités d’azote apportées,
chaque printemps, par les cours d’eau.
Dès lors il y a lieu
d’abandonner cette hypothèse du lien supposé entre l’azote et la
prolifération des ulves.
Les actions qui visent à réduire l’azote des seuls cours d’eau
sont vaines pour les raisons suivantes :
- l’absence de corrélation entre les rejets d’azote et le
phénomène est essentielle
- même en supposant vraie cette corrélation, l’azote dans le
milieu marin provient de diverses origines : rejets
atmosphériques, biologie marine, échanges avec le large, fixation
biologique de l’azote atmosphérique, etc…Agir sur une seule de ces
sources est, par conséquent, voué à l’échec
- les quantités assimilées par les ulves sont infimes (3,7% de
la MS, soit 3 à 5 kg de N par tonne d’ulves fraîches) ; soit pour
50 000 t d’algues fraîches pour toute la Bretagne, cela représente
seulement 150 à 250 tonnes d’azote assimilé, (et 0,5 à 25 tonnes
de phosphore assimilé).
- Concernant l’azote, de telles quantités sont naturellement et
largement présentes dans le milieu marin
Dès lors, aucune carence d’azote ne pourra être obtenue dans le
milieu marin et aucune diminution de la croissance des ulves n’est
à attendre, au terme de telles mesures. C’est d’ailleurs, ce que
nous constatons et nous en comprenons désormais les raisons.
Les programmes d’actions environnementales doivent intégrer ce
constat,
si l’on veut éviter que des décisions et des dépenses aussi
inefficaces qu’injustifiées, ne soient poursuivies.
Dans l’état actuel des connaissances scientifiques robustes,
aucune accusation des systèmes agricoles en place, ne saurait
prospérer. La poursuite et le renforcement de la suspicion et des
contraintes vis-à-vis des activités agricoles ne peuvent
constituer une réponse adéquate. L’ajustement de la fertilisation
aux besoins des systèmes culturaux doit être pratiqué pour des
raisons agronomiques et économiques, mais aucune amélioration sur
le front des marées vertes n’est à attendre avec de telles
mesures.
Il est nécessaire de
changer de paradigme.
Pour régler la question des « marées vertes », il y a lieu de
donner aux travaux et aux actions de nouvelles orientations.
Ce n’est pas la
modélisation, mais les actions de terrain s’appuyant sur la
biologie des écosystèmes marins, qui nous semblent les voies les
plus prometteuses.
Nous préconisons trois orientations principales :
- renforcer les actions de recherche sur la biologie des
écosystèmes et les différents cycles biogéochimiques
- proposer des travaux pratiques en faisant appel à la biologie
marine
- inciter à la récolte précoce et à la valorisation des ulves,
en tant que ressource
- Développer un
important effort de recherches sur la biologie des écosystèmes
marins côtiers ; nous pouvons citer les domaines suivants :
-
cycles biogéochimiques quantifiés du phosphore, et d’autres
éléments (fer, silice, calcium, potassium, etc.),
biodisponibilité de ces éléments
-
études détaillée de l’écosystème marin des baies propices :
faune, flore, microbiologie, biomasses respectives et chaînes
trophiques
-
inventaire des consommateurs des ulves (les animaux « brouteurs
»)
-
observation des solutions mises en oeuvre à l’étranger
- proposer des essais de terrain pour agir sur la biologie et
suivre leur efficacité. Nous pouvons citer :
-
des tests « biologiques » avec l’introduction de brouteurs des
ulves, et le développement de diverses espèces ; il convient de
rappeler que les accumulations massives d’ulves (500 000 tonnes,
soit 10 fois plus que sur toutes les plages bretonnes) ulves ont
disparu de la lagune de Venise, après l’introduction de la
palourde Japonaise
-
des actions mécaniques : dragage, griffages, hersages, de façon
à créer une turbidité périodique de l’eau et limiter la
croissance des ulves (tout en appréciant l’impact de ces
pratiques sur la biologie marine)
- développer des méthodes de récoltes précoces des ulves et de
valorisation
-
recenser et tester les équipements disponibles ou facilement
mobilisables
-
concentration et séchage des ulves pour l’alimentation animale
-
recherche
d’autres valorisations
Face à ce défi posé à l’environnement en Bretagne, nous cherchons
donc à constituer un groupe de travail ouvert, pluridisciplinaire
et international, comprenant des acteurs des secteurs privé et
public, de façon à aborder de façon nouvelle et concrète cette
question.
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