Bagarre sur les génériques
Agrodistribution mars - avril 1999
Sur un marché appelé à croître, les perceptions et stratégies en matière de produits phytosanitaires génériques s'opposent en France aussi bien chez les fournisseurs qu'en distribution.
Définition
![]() | La commission générique de L'UIPP, qui réunit Agriphyt, Bayer, Calliope, Elf, Atochem, Griffin, Marhteshim Agan, Novartis, RP Leadagro, Sipcam Phyteurop, Stefes et Tradi-agri, a retenu la définition suivante : un générique doit être à la fois hors brevet, c'est-à-dire tombé dans le domaine public (homologué depuis plus de vingt ans), mais aussi être fabriqué et vendu par plusieurs sociétés (au moins trois). |
![]() | Chiffre d'affaires France 1997-1998 : entre 1,7 et 2 milliards de francs, soit près de 15 % du marché de l'agrochimie. Cette part s'élève à 25 % si on inclut les "semi-spécialités", produits composés de molécules anciennes mais fournies par seulement une ou deux firmes qui leur apportent un soutien marketing. |
![]() | Chiffre d'affaires monde 1996 : 17,8 milliards de dollars, soit 53 % du marché. |
Génériques, banalisés, commodités, hors brevets ou encore semi-spécialités : dès leur dénomination, ces produits phytosanitaires divisent déjà ceux qui en parlent. Ensuite, la définition de cette catégorie de produits est là encore, loin de faire l'unanimité chez les fournisseurs même si l'UIPP, l'union des industriels de la protection des plantes, a récemment tenté "de l'officialiser" (lire encadré ci-contre). Ainsi les agro-chimistes cherchent - selon la notoriété du produit et les efforts de marketing qui l'accompagnent à "débanaliser" certains phytos pourtant tombés dans le domaine public depuis un certain temps. Ils veulent prouver que leur produit, aussi vieux soit-il, est meilleur que tout autre, pourtant parfois on ne peut plus ressemblant. C'est alors bien souvent par la qualité intrinsèque du produit et l'origine de la molécule que les fournisseurs se différencient. C'est par exemple le cas du Roundup de Monsanto ou du chlorotalonil chez Sopra que la société distingue des autres par sa formulation (concept de "l'aqua résistance") pour en faire un "hors brevet plus haut de gamme". Et même certains "spécialistes" des génériques, tel Améthys, se refusent à employer les termes adéquats qui semblent dévaloriser les produits. On préfère parler de "second marché" et "d'alternative qualité des génériques pour des produits qui ont fait leur preuve techniquement". Griffin France, dernière-née des sociétés françaises spécialisées en génériques, fait également attention à son vocabulaire. Ainsi préfère-t-on parler de "hors brevets" pour sous-entendre que ces produits ont parfois encore besoin d'un certain soutien marketing. "On peut remarquer un certain complexe du générique chez les fournisseurs", souligne Alain Braun, directeur France de Griffin. "Pour certains, cela ne fait pas sérieux de vendre des génériques, alors on essaie d'habiller les produits avec un côté spécialités. Il faut alors faire la différence entre deux grandes catégories de génériques : les purs et durs pour qui on ne parle que de prix et les autres pour qui les fournisseurs ont presque la même approche commerciale que les spécialités".
Complexe du générique et semi-spécialités
Lorsque de vieux produits sont accompagnés au niveau marketing (campagnes de promotion, communications dans la presse ), le terme consacré de semi-spécialités est alors utilisé. D'autres bénéficient aussi de leur notoriété et du fait qu'ils ne trouvent qu'une faible concurrence dans leur environnement commercial. C'est par exemple le cas de Lannate de DuPont qui fête ses trente ans (lire p. ) et est toujours parmi les trois insecticides vigne les plus vendus. "Lannate est pour nous un produit stratégique sur un marché où on trouve par ailleurs très peu de génériques en France. Sa notoriété joue énormément, c'est pourquoi nous devons l'accompagner au niveau de marketing et continuer à affirmer ses positions", confirme Véronique Marquès, chef marchés DuPont. Quoi qu'il en soit, le marché des produits phytosanitaires génériques est bel et bien amené à croître, même si, là aussi, les avis sont partagés. La tendance des fournisseurs à séparer lors des dernières campagnes, leur activité génériques de la commercialisation de leurs autres spécialités, n'y est pas étrangère ; Leadagro chez Rhône-Poulenc, Stefes chez AgrEvo, Améthys chez Novartis ou Griffin chez DuPont. Témoins également de cet engouement, quelques spécialistes viennent de l'étranger (Makhteshim Agan, Jagri, Barclay ) pour se partager à terme le gros gâteau que devrait représenter le marché français des génériques. A ce jour, ces produits représenteraient à peine 15 % du marché phytosanitaire dans l'Hexagone ou 25 % si l'on inclut les semi-spécialités et plus de la moitié des ventes au niveau mondial. L'étude de PSR (1) montre que les génériques occuperaient 70 % du marché mondial en 2005.
De nombreux produits retirés du marché
En France, aucun spécialiste ne prévoit une telle hégémonie de génériques sur un marché phytos dominé par les produits haut de gamme et les nouveautés Leader en Europe et au second rang mondial, le marché phyto sanitaire français se caractérise en effet par une dépense moyenne en phytos dans les exploitations de grandes cultures de 700 F/Ha soit dix fois plus qu'aux États-Unis.
Pourtant, de nombreux fournisseurs et distributeurs français pensent que les génériques pourraient représenter près d'un tiers du marché phytos français en 2005. Et déjà, depuis ces dernières campagnes, ce marché se stabilise après avoir baissé suite au retrait de la vente de nombreux produits pour des raisons réglementaires liées à l'environnement (dinoterbe, lindane ) ou à la législation européenne plus draconienne pour les vieux produits. Par exemple, l'herbicide céréales "néburon" fait partie de ces génériques retirés du marché car aucune firme le produisant n'a souhaité débourser les quelque 200 MF nécessaire à son dossier de ré-homologation européenne.
"On pensait que d'autres produits génériques viendraient remplacer ceux disparus mais les spécialités ont au contraire augmenté leur part. Dans un contexte d'agriculture de plus en plus de précision, les agriculteurs français sont attirés par la nouveauté même si c'est plus cher et on peut imaginer à l'avenir une baisse des génériques" considère Denis Auber de l'UIPP. "Mais le marché des génériques est moins cyclique et plus volatile que celui des spécialités, beaucoup plus bagarré en terme de prix et une inversion rapide de la tendance est tout à fait possible." Certains sont beaucoup plus catégoriques quant à la hausse future du marché des génériques, tel Denis Cochet, directeur de marché grandes cultures pour le réseau de négociants Agridis : "Nous sommes persuadés que ce marché va se développer car un grand nombre de produits vont à plus ou moins court terme tomber dans le domaine public. De plus, avec l'Agenda 2000, les agriculteurs vont être à la recherche de solutions plus économiques."
Par ailleurs, "en tant que distributeurs, nous n'avons pas intérêt à développer à outrance le marché des génériques qui ne génère que des marges faibles", fait savoir Denis Cochet qui reconnaît également que "les génériques supportent mal les coûts de transport et de stockage aux normes qui sont de dix à vingt francs par litre, comme pour notre nouveau dépôt aux normes Séveso. Nos concurrents qui stockent leurs produits dans des dépôts hors normes peuvent vendre les génériques moins chers" Alain Kuntzmann, responsable du service commercial Uncaa, renchérit: "Le technico-commercial ne doit pas passer du temps avec les génériques, il doit simplement répondre à une demande."
Certains vont plus loin et estiment comme Michel Massié, responsable Appro au GCO, que "ce n'est pas rendre service aux agriculteurs que de leur vendre des génériques. Ce n'est pas avec cela que la profession va financer les recherches pour répondre aux problèmes environnementaux ou autres". Cette coopérative a donc pour politique de ne pas favoriser les phytos banalisés "pour garder une bonne image car tous les problèmes viennent de ces produits", pense-t-il.
Des distributeurs "antigénériques"
Mais les génériques répondent de toute façon à une demande des agriculteurs et le distributeur qui y répond doit faire un choix judicieux selon un ensemble de critères prix et services (lire encadré p.16). La plupart intègre les génériques dans leurs gammes aux côtés des spécialités et grâce à la segmentation de leur clientèle arrive à bien cerner les attentes des agriculteurs en matière de banalisés. Par ailleurs, les agriculteurs, mieux formés aujourd'hui raisonnent de plus en plus en matières actives et de moins en moins par rapport au nom commercial. Il leur est donc plus facile de faire des comparaisons de produits à prix identiques.
"La vente de phytos est en fait une question de dosage entre l'agriculteur et les produits, qu'ils soient nouveaux ou génériques. Nous devons lui proposer une solution qui lui aille", explique ainsi Philippe Balanger de l'Océane. "On alerte l'agriculteur par rapport à l'environnement en lui proposant des solutions plus nouvelles mais c'est souvent le souci économique qui prime car au nom de l'environnement on ne peut pas mettre en péril l'exploitation."
Distribution
La recherche d'un pack prix/services
-Le prix est l'élément essentiel du marché des génériques influencé conjointement par la demande des agriculteurs et le simple coût de revient du produit. Des prix font référence et tous les fournisseurs s'alignent. Mais pour choisir parmi une multitude de propositions, le distributeur va le plus souvent prendre en compte un ensemble prix/services car le seul bas prix ne semble plus répondre aujourd'hui aux contraintes de qualité et d'environnement du marché phytosanitaire.
-La qualité de la molécule et de la formulation (compatibilités) du produit générique sera d'abord recherchée et particulièrement son origine de production qui garantit le plus souvent son acceptabilité.
-D'éventuels services accompagnant la vente d'un banalisé peuvent également être très appréciés distributeur. Ce dernier peut faire face à des litiges dus à l'emploi de produits génériques et rechercher la gestion de ces conflits par le fournisseur. Le choix d'un fournisseur de génériques est aussi dicté par l'approche qu'il a du marché en matière de logistique, livraisons et fixation des prix.
-Enfin, les regroupements et divers partenariats dans l'agrochimie ne font pas toujours bonne presse au marché des génériques. Denis Cochet d'Agridis s'interroge: "On peut se demander si les fournisseurs ne veulent pas maîtriser ce marché et éviter son développement. Ils semblent limiter les sources de matières actives lorsque seules une à trois firmes les produisent. Et semblent se mettre d'accord pour augmenter les prix, voire à terme supprimer les génériques pour mieux placer leurs spécialités."
En 2005, les génériques occuperaient près d'un tiers du marché phytos en France.
Répartition du chiffre d'affaires des produits phytosanitaires en France en 1997-1998
Source : Commission générique de l'UIPP
Plus d'un tiers des génériques vendus en vigne-arbo
Fongicides pomme de terre 6%
Insecticides du sol 7%
Herbicides maïs 9%
Herbicides céréales 15%
Fongicides vigne-arbo 17%
Herbicides vigne-arbo 20%
Fongicides céréales-pois 6%
Herbicides colza-tournesol 5%
Herbicides betterave 5%
Régulateurs de croissance 4%
Insecticides aériens 4%
EUROPE
Deux associations contre le monopole des multinationales
Philippe Detroux
,Directeur technique chez Lapa et secrétaire de l'ECCA.
--L'ECCA (European Crop Care Association) est une association créée en1993 suite à la directive 91/414 qui vise à l'harmonisation européenne des homologations de produits phytosanitaires. Cette directive oblige les fournisseurs de produits génériques à livrer des dossiers de ré-homologation de même niveau d'exigences techniques que les nouveautés. Près de quarante de ces fournisseurs européens se sont donc réunis au sein de l'ECCA pour partager les frais d'études. L'association a également un but syndical de défense de leurs intérêts communs dans ce cadre qui favorise selon eux les multinationales. En effet, la directive oblige à fournir des dossiers complets depuis l'origine du produit, ce qui le plus souvent, ne peut être fourni que par les multinationales qui ont dès le début breveté la molécule. "En nous défendant, nous essayons donc de sauver l'accès au marché pour éviter le monopole des multinationales", affirme Philippe Detroux, directeur technique chez Lapa et secrétaire de l'ECCA.
Daniel Roques,
Président d'Audace.
Autre combat mais même cible au sein de l'association, Audace (Association des Utilisateurs et Distributeurs de l'AgroChimie Européenne), créée en1998, et qui rassemble des distributeurs et utilisateurs de produits phytosanitaires. Cette fois, le nerf de la guerre est le prix de vente des génériques et les importations. Selon Daniel Roques, son président, Audace a pour but d'informer, conseiller et défendre tous ceux qui se sentent lésés par "les fabricants qui cloisonnent le marché français du reste de l'UE et pratiquent une stratégie de distribution sélective qui a pour conséquence d'évincer toute libre concurrence". En rassemblant toutes les preuves juridiques, administratives et commerciales, l'association prône, entre autres, la reconnaissance dans le domaine phytosanitaire des dispositions communautaires liées à la libre circulation des produits, des procédures d'homologations "simplifiées" pour des produits identiques à un autre déjà homologué et le principe de "similarité" ou "homologation parallèle" qui voudrait qu'un pays soit tenu de délivrer la même homologation que celle accordée dans un autre état membre.
Laurent Caillaud - Agrodistribution - mars - avril 1999
Solutions d'entreprises STRATEGIE