AUDACE

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Chardons dans l'herbe verte

Les lobbies du secteur phytosanitaire broutaient leurs marchés nationaux en paix,

sous la houlette bienveillante de certaines administrations.

Les petits importateurs se rebiffent avec Audace.

Insecticides, désherbants sélectifs et autres produits phytosanitaires, fabriqués par les mêmes multinationales, portent souvent les mêmes marques. Mais selon qu’ils sont vendus sur les marchés français, belge, italien ou d’autres pays de l’Union européenne, leurs prix peuvent connaître de sensibles différences. Alors, certains importateurs achètent le produit dans le pays où il est le moins cher et le distribuent en d’autres endroits de la Communauté, sous marque propre ou celle du producteur. La démarche est tentante et semble logique, mais pour que ces importations «parallèles» ou «bis» soient autorisées en France, par exemple, le produit doit être soumis à une nouvelle procédure d’homologation. Or, la France n’admet pas la «procédure d’homologation rapide» prévue par l’Union européenne pour permettre la mise sur le marché d’un Etat membre d’un produit similaire qui a déjà subi toutes les épreuves d’une homologation complète dans un autre pays de l’Union. «Et ceci à cause des grosses multinationales», affirment les petits, qui n’hésitent pas à dire que celles-ci commercialisent parfois un même produit sous des couleurs variables d’un pays à l’autre, ce qui leur permet de prétendre qu’il s’agit de produits différents, et donc de se retrancher derrière les procédures d’homologation classiques, à la lenteur rassurante.

A MALIN, MALIN ET DEMI. Certains importateurs français, dont 95 % des produits étaient écoulés sur le marché hexagonal, avaient établi leur siège en Belgique, où l’on respecte le système de l’homologation simplifiée. «En fait, la directive européenne ne précise pas vraiment les modalités de cette homologation simplifiée, précise Herman Fontier, chef du service des pesticides au ministère de l’Agriculture. C’est pourquoi les Belges ont décidé de l’octroyer par lot importé, en une fois, sans limite de quantité, mais pour une année. Pour empêcher ces homologations, certaines multinationales sabordent elles-mêmes leurs homologations, modifient légèrement leur produit : il n’est plus possible alors d’attribuer des homologations simplifiées aux importateurs qui en font la demande, puisque les deux produits ne correspondent plus.» L’administration fiscale française a rattrapé ses ressortissants en leur infligeant un douloureux redressement de TVA ils devaient être taxés à 20,5 % et non à 5,5 %. Les importations parallèles de produits phytosanitaires par les petits distributeurs français ne font qu’égratigner l’immense marché des multinationales : elles représentent I % des produits vendus dans le pays, sur un marché total de 12,5 milliards de FF. Pourtant, celles-ci n’apprécient guère cette incursion sur "leurs terres" et utilisent toutes les voies de droit. Le recours à diverses procédures, comme la saisie-description accompagnée de la pose de scellés, leur permet aussi de ruiner un petit concurrent. Les gros producteurs jouent aussi sur l’information : dès qu’apparaît un produit parallèle, fleurissent les «mises en garde» sous forme de communiqués payants, à l’adresse des utilisateurs potentiels, leur signalant que l’utilisation du produit concerné risque de détruire leurs récoltes, ou que son usage peut entraîner des poursuites pénales. De quoi mettre sur la paille le petit concurrent...

AUDACE. En Belgique, le Tournaisien Stéphane Delautre-Drouillon a ainsi dû déposer le bilan de sa société PSI suite aux poursuites diligentées par Basf, qui a fait apposer les scellés sur ses installations. Basf accuse PSI de contrefaire ses herbicides, alors que Stéphane Delautre-Drouillon affirme fabriquer des génériques à partir de brevets tombés dans le domaine public. Un procès est en cous. Stéphane Delautre-Drouillon a rejoint ses collègues français, bien que leurs problèmes soient différents : il met sur le marché des génériques fabriqués sous sa marque tandis qu’eux vendent en France des produits achetés ailleurs. Réunis au sein d’Audace, Association des Utilisateurs et Distributeurs de l’Agrochimie européenne, ils entendent faire respecter la liberté d’utiliser et de vendre des produits phytopharmaceutiques dans le cadre de la législation européenne et donc lutter «contre les protections nationales qu’imposent des administrations qui se laissent gentiment violer par les lobbies des grandes firmes», tonne Daniel Roques, le président.

L’INTERNET ET LA JUSTICE. Stéphane Delautre-Drouillon a conçu un site sur Internet (http://www.audace-ass.com), par le biais duquel Audace espère lever une armée de petits David pour affronter quelques Goliath qui se croient invincible. Mais le sont-ils vraiment ? Dans les pays plus libéraux à l’égard des importations parallèles, on atteint des taux de 20 à 25 %. Actuellement, en France, les partenaires d’Audace couvrent 300.000 ha; ils espèrent dépasser le million au cours de la campagne 1999, et se sentent poussés par le vent de la justice. L’an dernier, le tribunal correctionnel de Blois a donné raison aux «illégitimes» en confirmant le principe de la primauté du droit communautaire et, partant, de la libre circulation et commercialisation des produits incriminés. Le 29 septembre dernier, le tribunal de grande instance de Béthune a confirmé «la supériorité des normes juridiques européennes sur le droit interne» et constaté que les administrations françaises refusent de délivrer des homologations simplifiées, en violation des articles 30 à 36 du Traité, tout simplement en ne délivrant pas de formulaires de demande. Audace a obtenu que la Commission de Bruxelles mette la France en demeure de se conformer au droit européen. La France n’a pas répondu dans les délais fixés. Qui l’eût cru ?

TRENDS-TENDANCES - 12 NOVEMBRE 1998

 

Daniel Roques et Stéphane Delautre-Drouillon

AUDACE

Lutter contre les protections nationales

qu’imposent des administrations.