Les produits phytosanitaires et l’Europe :

la parole à la défense.

Comme pour d’autres marchandises, les prix des produits phytosanitaires varient dans une fourchette de 1 à 5 à l’échelon mondial et dans une échelle plus mince au sein du marché unique européen. Par contre, la liberté de circulation de ces produits est restreinte même en Europe. Audace, une association récemment créée dénonce les abus qui commencent à être sanctionnés….

Ce sont des utilisateurs et des distributeurs, respectivement auteurs et acteurs du marché phytosanitaire qui ont décidé de s’unir pour créer AUDACE ou Association des Utilisateurs et Distributeurs de l’Agrochimie Européenne. Le catalyseur de l’association est Daniel Roques, un baroudeur du parallèle import qui sévit dans le monde des phytos depuis près de 25 ans. Sa pile de dossiers, essentiellement des contentieux, atteint une taille respectable. Des dossiers qui font état de plaintes enregistrées auprès de la Commission européenne contre des multinationales mais aussi contre l’État français, d’actions politiques auprès de tous les Ministères concernés, des actions administratives, des actions législatives devant les deux Chambres. Enfin, à l’actif de ce commerçant qui excelle dans l’art du lobbying, la rédaction d’une proposition de réglementation de l’homologation des produits phytosanitaires en France conformément aux impératifs absolus de droit communautaire quant à la libre circulation des marchandises. Si les sociétés phytosanitaires réussissent à pratiquer une stratégie de distribution sélective, il faut certes invoquer leur propre action bien légitime mais surtout le manque de contre-pouvoir que les agriculteurs opposent notamment à travers leurs syndicats. Ces multinationales semblent désormais avoir trouvé sur leur chemin des empêcheurs de tourner en rond. Et ce d’autant que les membres de l’association Audace considérant que les produits phytosanitaires nécessitent des normes strictes quant à leur utilisation et leur distribution, « ont pris la décision de veiller au bon emploi et à la régularité de leur mise sur le marché, de telle sorte qu’un tel contrôle soit encore plus bénéfique à la santé humaine et à l’environnement ».

 

Comment perturber la libre circulation ?

Selon le spécialiste, pour faire interdire sur le territoire français les importations n’ayant pas reçu leur consentement, les firmes utilisent trois moyens dont l’homologation.

L’homologation a été instaurée pour permettre à chaque pays de vérifier l’innocuité des produits. Alors que la Commission européenne étudie les matières actives pouvant donner lieu à l’homologation, un produit ne peut ensuite être commercialisé en France que s’il a reçu une homologation. C’est une autorisation de vente délivrée par le Ministère de l’Agriculture et accordée à une spécialité dont la formulation a été décrite dans un dossier d’homologation déposé par la firme au près du comité d’homologation. « Que l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes) siège au sein de cette commission permet à cette dernière d’être juge et partie, cette situation française est unique en Europe » constate D. Roques.

Chaque pays possède son propre comité qui accepte ou non d’attribuer une homologation à une spécialité dont la matière active a été acceptée par Bruxelles. L’introduction en France d’un produit en provenance d’un autre État membre est soumise à l’homologation. Or dans la mesure où l’homologation est accordée à un produit commercial défini par son nom, il suffit d’attribuer un nom différent au produit français. Le produit acheté en Angleterre, rigoureusement identique au produit homologué en France, sera poursuivi de diverses manières. D’une part, par la DGCCRF pour absence d’homologation sous ce nom commercial. D’autre part, par les services fiscaux qui pour la même raison le taxeront à un taux de TVA de 20,6 % au lieu du taux de 5,5 % applicable aux produits destinés à l’agriculture.

Enfin, le détenteur de la marque pourra toujours pour les mêmes raisons attaquer pour concurrence déloyale. Dans un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Blois, le 14 octobre 1997, l’administration française, en l’occurrence la DGCCRF, a tout de même été déboutée. Ainsi, elle reprochait à la société Surcouf (trois négociants français) de ne pas avoir reçu l’homologation (par une procédure complète et non par une procédure simplifiée) pour des produits phytosanitaires homologués au Royaume Uni, en l’occurrence « Deltaland » et « Lambda-C » respectivement identiques aux Décis et au Karate, homologués au Royaume-Uni et en France. Les négociants avaient pourtant demandé une homologation à l’administration française qui ne leur a pas donné de réponse. Les juges ont relaxé les 3 prévenus au motif que l’administration « en empêchant la société requérante d’obtenir son homologation, elle protège la position de monopole du fabricant et de son réseau de distribution, qui peut seul avoir accès aux informations qui sont requises pour obtenir l’homologation. Elle crée ainsi une distorsion de concurrence assimilable à une « mesure d’effet équivalent »… L’absence de réponse par les services du ministère de l’agriculture correspond à une réponse négative dont il a été exposé le caractère illégal au regard des principes du droit communautaire ». D’autre part, l’homologation est accordée à une formulation très précise. Il suffit donc d’en modifier quelques paramètres mineurs pour que deux produits revêtus du même nom commercial en France et en Italie ne soient pas rigoureusement identiques. Ainsi, le produit italien se verra poursuivi en France, pour le même motif lié à l’homologation proteste Daniel Roques.

 

ET LES IMPORTATIONS…

Concernant l’importation de produits de pays tiers de la CEE, droit des marques et droit des brevets sont également utilisés contre l’importateur parallèle. Ces dysfonctionnements aboutissent à des distorsions de concurrence pénalisant l’agriculteur français dans un contexte de libéralisation des marchés des produits agricoles commente Daniel Roques. D’ailleurs, en son temps, Philippe Arnaud, adhérent d’Audace, avait interpellé le ministre E. Alphandéry à propos des importations de produits agricoles traités avec des produits phytosanitaires interdits en France. Daniel Roques rappelle le cas d’un insecticide qui coûte 60 Frf/litre à l’agriculteur américain contre près de … 200 francs au producteur français…

 

Le point de vue de la commission européenne.

Un parlementaire européen a posé une question à propos de l’autorisation de mise sur le marché de produits phytosanitaires. Le Journal officiel des Communautés Européennes série Communication du 30.4.98 a publié la réponse du commissaire Fischler. « La directive 91/414/CEE du 15 juillet 1991 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques prévoit que les États membres doivent prescrire que les produits phytopharmaceutiques ne peuvent être mis sur le marché et utilisés sur leur territoire que lorsqu’ils ont autorisé le produit en cause »… « Pour ce qui concerne les importations parallèles de produits phytopharmaceutiques (.) Ceci implique qu’un État membre qui dispose de la preuve qu’une spécialité phytosanitaire, bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché dans un autre État membre, et une spécialité phytosanitaire pour laquelle il a déjà délivré une autorisation de mise sur le marché sont fabriquées par le même fabricant ou par des licenciés de celui-ci et que ces deux produits sans être en tous points identiques, ont été fabriqués suivant la même formule et en utilisant le même ingrédient actif, doit faire bénéficier la spécialité phytosanitaire importée de cette autorisation de mise sur le marché, à moins que d’éventuelles différences entre les deux produits en question n’affectent les effets du produit sur le plan des exigences visées à l’article 4, paragraphe 1(b) de la directive 91/414/CEE (tels que, efficacité, phytotoxicité, effets sur la santé et l’environnement) ».

Guy Laluc Septembre 1998