COMPRENDRE

Les pistes pour anticiper

 

Eliminer les dangereux

et les illégaux

 

lls viennent d’ailleurs, ils sont moins chers: ce sont des produits phytosanitaires. Sont-ils licites, illicites? Quels sont les risques d’utilisation? Si, en la matière, les firmes de l’agrochimie se retranchent derrière la législation nationale, pour l’agriculteur, actuellement submergé d’informations, il est difficile de s’y retrouver...

Dans une lettre à un distributeur, un responsable d’une direction départementale de la concurrence, consommation et répression des fraudes indique «...les importations de produits antiparasitaires à usage agricole autorisés dans d’autres Etats membres de la Communauté européenne et identiques à des produits homologués en France sont licites. Ceci résulte du principe de libre-circulation à l’intérieur du Marché unique européen, qui a été précisé par la Directive 91/414/CEE du 15 juillet 1991, relative à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Le dispositif en vigueur au sein de l’Union européenne vise à assurer aux agriculteurs la mise à disposition d’un large choix de produits sûrs, à des coûts réduits grâce à la reconnaissance des tests entre Etats. Toutefois, l’étiquetage de chaque emballage doit être réalisé en langue française et comporter les nom et adresse d’un responsable de la mise sur le marché français.»

TOUJOURS S’ASSURER QUE LE PRODUIT EST

HOMOLOGUÉ EN FRANCE

Pour le ministère de l’Agriculture et, en l’occurrence, la Protection des végétaux, certes il y a la Directive européenne. «Toutefois, il n’en demeure pas moins que la mise sur le marché en France de ces produits doit respecter les principes posés par la loi du 2 novembre 1943 relative à l’organisation du contrôle des produits anti-parasitaires à usage agricole. La mise sur le marché de ces produits est subordonnée à une autorisation délivrée par le ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Par conséquent, toute personne qui entend mettre sur le marché français un produit en provenance d’un Etat membre, doit s’assurer que le produit introduit correspond à celui qui bénéficie d’une autorisation de mise sur le marché en France, et doit mettre l’étiquetage en conformité avec celui du produit autorisé... »

 

 

HISTOIRE VÉCUE

Le dixième de la dose homologuée

Michel André raconte une anecdote qu il a vécue en Afrique en tant que responsable commercial de Procida, mais qui pourrait tout aussi bien arriver dans nos contrées. Il cite le cas du Kenya qui utilisait, il y a une vingtaine d’années, un fongicide pour lutter contre la rouille du caféier, le café étant la principale source de devises du pays. Un négociant a proposé le fongicide à un prix un peu moins élevé; les producteurs en ont acheté quelques bidons afin d’essayer. Le produit ayant très bien marché, la seconde année ils se sont approvisionnés surtout avec ce produit moins cher. Or, il titrait le dixième de la dose homologuée! Ils ont perdu la quasi-totalité de leur récolte, et manqué mettre le pays en faillite!

 

 

Stockage de produits phytosanitaires. Une spécialité commerciale ne peut être mise en marché en France que si elle est autorisée par le ministère de l’Agriculture. L’homologation porte sur un nom, une formulation, un usage.

 

 

LES FIRMES JUGENT TROP LAXISTE LA RÉPRESSION DES FRAUDES

En fait, les deux organismes officiels abordent le problème quelque peu différemment. Ainsi, la Répression des fraudes se réfère aux Directives européennes. Jugée laxiste par les multinationales de la chimie, la Répression des fraudes fermerait les yeux sur les imports à partir du moment où le produit ne présente pas de risques mortels. Elle est taxée de vouloir favoriser avant tout le consommateur.

Ainsi, un chimiste souligne que le défaut d’étiquetage provenant d’un produit importé d’un Etat membre de l’Europe doit être passible d’amende, c’est la loi. Or, tombant sur le contrevenant, la Répression des fraudes conseillera à l’importateur de se mettre en règle. A l’inverse, la Protection des végétaux interprète la législation au premier degré.

Le marché des produits d’import est estimé aux alentours de I %. Cela fait beaucoup fantasmer la filière. Il y a les couacs savamment entretenus par les firmes, diront les mauvaises langues. Les premiers agriculteurs concernés sont évidemment les adhérents de groupements d’achat qui recherchent des prix attractifs. En effet, des écarts de tarifs de l’ordre de 10 à 20 % sont constatés avec les mêmes produits vendus dans d’autres Etats membres. Certes, il y a les désordres monétaires, notamment les dévaluations compétitives des Etats membres du sud, mais il y a aussi des prix plus avantageux consentis par les firmes sur d’autres marchés.

Certains produits ont fait passer des nuits blanches à plus d’un agriculteur, surtout après qu’une certaine presse ait mis en avant les risques encourus par les utilisateurs. De nombreux groupements refusent tel ou tel produit émanant de pays asiatiques ou du sud (Karaté turc, Puma chinois, Décis algérien) et de l’Est (Impact polonais). Par contre, ce qui provient du nord inspire davantage confiance, ainsi en est-il des herbicides pour betteraves provenant d’Angleterre. Selon une étude commandée par l’UIPP (Union des industries de protection des plantes), les importations proviennent de la CEE pour 37 % des cas et hors CEE pour 48 % des cas. Pour 15 %, l’origine n’a pas été identifiée!

 

 

MARQUE OU PRODUIT: LES DEUX TYPES DE CONTREFAÇON

Des produits d’origine incertaine, à la formulation venue d’ailleurs, fabriqués à l’insu des propriétaires de la marque dans des usines aux quatre coins du monde sont des contrefaçons. «C’est clair, ces produits sont illégaux, il faut que toute la filière les casse», note un importateur. En revanche, un produit phytosanitaire importé d’un pays extra-européen, d’Asie par exemple, portant l’estampille et sortant des usines des chimistes en question est aussi un produit contrefait! Explication d’un importateur: «C’est une contrefaçon de marque, mais le comble est que cette contrefaçon de marque est assimilée à une contrefaçon de produit».

-

Les prix sont plus avantageux sur des marchés moins solvables.

-

 

 

L’AVIS DES FIRMES

Se référer à la loi

Pour les sociétés phytosanitaires, la loi française indique:

Si le produit est exporté d’un pays de l’Union européenne vers la France.

Le produit peut être vendu légalement en France, s’il remplit les conditions suivantes:

il est homologué sous la même formulation et sous le même nom dans l‘Etat membre d’origine et en France. il porte une étiquette en français indiquant les usages, le mode d’emploi et les phrases de risque, et le nom de l’importateur.

Si le produit est exporté d’un pays tiers, hors Union européenne, vers la France.

Le produit, même s’il est identique à celui vendu en France, ne peut pas être commercialisé sans l’accord du propriétaire de la marque et des brevets industriels. S’il y a commercialisation sans accord, il y a contrefaçon, jugée plus ou moins sévèrement par les tribunaux, selon les écarts de formulation (solvants différents, par exemple), les risques encourus par la culture et le consommateur.

 

 

les écarts de prix se situent entre 10 et 20 %. On comprend que les agriculteurs soient intéressés par les produits importés!

 

 

 

À SAVOIR

Que risque un agriculteur?

Au niveau juridique pour qu'une societe puisse poursuivre un agriculteur, il faut qu’un de ses représentants constate la présence de produits illicites dans l’exploitation même. Mais aucun cas n’a aujourd’hui été recensé. Lagriculteur peut donc dormir sur ses deux oreilles... Par contre, il est arrivé qu’un distributeur ait fait intervenir un huissier chez des non-clients. Pourquoi? Pour faire peur au distributeur concurrent livrant ce type de produits. En général, c’est le distributeur qui risque d’être inquiété par les firmes. "Pour remonter la filière", indique-t-on dans une firme. Des commerciaux d’une société récemment confrontée au problème d’import d’herbicide l’ont avoué à certains distributeurs.

 

 

 

CAS CONCRET

Le Depon super: un Puma S sans safeneur!

Même si les firmes ne le disent pas trop fort, elles le pensent. «Le cas du Depon super est arrivé au bon moment afin d’ôter l’envie aux agriculteurs d’acheter des produits d’importation».

Fourni par un importateur belge à un «agriculteur-négociant » de l’Ouest et à un négociant de Champagne-Ardenne, le produit a été avant tout présenté comme étant d’abord une matière active, en l’occurrence le fénoxaprop -P-éthyl titrant 69 g/I. Pour le néo-négociant de Vendée «Tout le monde a été berné dans cette affaire, les uns et les autres pensaient avoir affaire à un produit identique au Puma S». En fait, chacun a ignoré le rôle du safeneur (l’antidote qui permet à la céréale de détoxifier la matière active) absent du produit pensant que c’était uniquement un argument marketing. «D’ailleurs la spécialité commerciale de Procida n’indique pas non plus la présence du safeneur», renchérit le négociant.

Les grands perdants sont bien sûr les agriculteurs. Dans le Centre, quatre d’entre eux seraient concernés pour environ 500 hectares de cultures. Ces agriculteurs se sont alors retournés vers le vendeur du produit qui s’est lui-même retourné vers son assureur. Pour l’instant, c’est le statu quo!

Le plus surprenant dans cette affaire reste la motivation des acheteurs. En effet, le «bon coup commercial» ne peut même pas être avancé puisque le produit n’était finalement pas moins cher que le Puma S vendu dans un circuit traditionnel.

 

 

 

A retenir - CuItivar - A retenir

Lorsque l’on évoque les importations de produits phytosanitaires, on fait allusion immédiatement au débat sur leur légalité. Si certains produits rèsultent de stratégies commerciales différentes de celles des firmes phytosanitaires, selon les pays, d’autres sont de véritables contrefaçons et peuvent faire courir des risques a l’utilisateur. Exemple, le Depon super en France. La vigilance est de mise.

--------------

 

 

POUR LA TRANSPARENCE ET L’INFORMATION.

«La majeure partie des agriculteurs européens peuvent acheter leur produit là où ils le veulent, au regard du droit des marques, ce qui n’est pas le cas d’un agriculteur français. Ainsi, un Allemand peut acheter un produit de n’importe quelle provenance, ce qui le rend de fait licite en Europe.

Pourquoi l’agriculteur français ne pourrait-il pas acheter ce même produit... directement hors CEE et a fortiori sur le territoire de la Communauté? "C’est une discrimination au regard du traité de Rome" tonne un autre acteur de la filière.

Au niveau européen, la contrefaçon s’applique également dès lors qu’un produit phyto homologué dans un pays, à concentration 100, est importé en France où le produit est homologué à concentration 180! Que penser alors de ces différences de concentration d’un pays à un autre? Même des firmes qui ne pratiquent pas cette technique, estiment que le procédé est un peu insidieux.

Le premier à s’être élevé contre la réglementation ou son interprétation a été le secrétaire de la Coordination rurale. En juillet 1994, Philippe Arnaud expliquait en substance, notamment au ministre de l’Agriculture, jean Puech, que si les produits phytosanitaires d’importation moins chers étaient interdits en France, santé oblige, il fallait en toute logique interdire l’entrée des denrées qui pouvaient avoir subi des traitements phytosanitaires avec des produits jugés dangereux et dont l’utilisation a été interdite dans l’Union européenne. Il s’élevait ainsi contre la filière (firmes, distributeurs et... syndicats FNSEA et CNJA) qui dénonçaient les importations "‘illicites" de produits phytosanitaires dans un document adressé à différents ministres.

 

-

Les griculteurs veulent simplement pouvoir dissocier le bon du mauvais

-

 

MORALISER LES IMPORTATIONS

En janvier 1995, le syndicat des firmes phytosanitaires communiquait aux distributeurs à propos des importations, sur la base d’une étude effectuée par un cabinet international. La communication n’a malheureusement que peu filtrée. Et les firmes sont assez frileuses pour parler du sujet. Durant ce même mois de janvier, la sodété Surcouf (Agridis, ATI et Phytheron International) tenait une conférence de presse dans un grand hôtel pairisien. Le thème concernait justement l’importation de produits phytosanitaires! L’objectif de la société est de connaître tous les imports possibles intra et extra-communautaires. Pour les trois associés, la différence de prix entre pays voisins est souvent interprétée par les agriculteurs comme une marge supplémentaire prise par le distributeur, et ce sentiment est générateur de rancoeurs. La société se dit prête à aider les firmes à faire le ménage concernant certaines brebis galeuses, des non-professionnels de la distribution, qui importent au mépris des règles les plus élémentaires. Surcouf veut donc moraliser les importations de produits phytosanitaires et s’est donné les moyens de ses ambitions en agissant en amont. C’est-à-dire en employant des avocats internationaux afin que la législation européenne s’applique le plus vite possible.

La balle est donc désormais dans le camp de la Cour de justice européenne... Du côté des firmes, les réactions sont très diverses. Certaines jouent la montre. D’autres ont une culture internationale et considèrent aujourd’hui la France comme une région. Elles espérent que la monnaie unique permettra de tout faire rentrer dans l’ordre. De nombreux agriculteurs réclament tout simplement de pouvoir dissocier le bon produit d’importation (efficace et sélectif) du produit frelaté ou véritablement contrefait. On prêterait d’ailleurs à Surcouf l’intention de mettre en place un système permettant d’informer les agriculteurs. A suivre...

 

 

Guy Laluc

 

Cultivar n°385 - 16 au 31 mai 1995